Une charte de
confirmation donnée par Richard II à St-Ouen cite
l’église St-Amand parmi les biens rendus par Rollon au
monastère. Nous pouvons donc penser que Gosselin aurait
pu acquérir le monastère de l’abbaye et qu’il ne
s’agirait que d’une refondation.L’abbatiale était dédiée
à saint Amand, l’apôtre de la Belgique, évêque d’Utrecht
et également de Maastricht, mort vers 675. Une lointaine
et vraisemblable tradition évoquée au XIIème siècle
affirme qu’un établissement monastique édifié par Clovis
II, fils de Dagobert Ier, aurait été consacré ici-même
par saint Amand en personne.
Certes, saint Amand appréciait la ville de Rouen et y
séjourna. Conseiller de Dagobert Ier, il avait d’abord
été un membre influent de la cour des rois mérovingiens
qu’il fréquentait assidûment comme saint Eloi ou Dadon...
qui n’était autre que l’illustre archevêque de Rouen
plus connu sous le nom de saint Ouen. Saint Wandrille,
saint Philibert, proches des rois francs, gravitaient
également dans les allées du pouvoir.
L’abbaye de St-Amand recèlerait des traces antiques de
l’occupation romaine dans son sous-sol. Des
substructions importantes pourraient appartenir à des
temples. En fait, le site entièrement rasé fut
transformé en un lieu de culte chrétien. Il reste que le
mur d’enceinte de St-Amand coïncide avec les remparts
primitifs de la ville. Le théâtre du Rouen gallo-romain
n’est plus conservé que dans le parcellaire de la place
St-Amand (par la présence d’un espace hémicirculaire
d’un diamètre de 75 mètres). Au XVIIème siècle, selon
l’historien Farin, on voyait encore une tour attachée à
un pan de muraille dans la cave d’une maison proche du
jardin des religieuses de St-Amand. D’ailleurs, deux des
plus anciennes basiliques eurent leurs chevets engagés
dans une tour du rempart de la ville. Dans la rue de la
République, en mai 1964, fut précisément retrouvée la
base d’une tour de l’enceinte. Elle ne fut visible que
peu de temps lors de travaux souterrains.
Bien que dépourvues d’une vaste église, les Bénédictines
de St-Amand possédèrent toujours des bâtiments
d’ampleur. Sur les lieux, des religieuses, issues des
plus illustres dynasties normandes ou de la famille
royale (comme l’abbesse Mathilde IV, de 1261 à 1268, une
cousine de saint Louis) administrèrent l’une des plus
riches et des plus puissantes abbayes féminines de
Normandie. Son abbesse possédait même le privilège de
donner l’anneau aux archevêques de Rouen. Ceux-ci
accédaient à leur siège avec la bénédiction de l’abbé de
St-Ouen et de l’abbesse de St-Amand, issus de deux
monastères voisins érigés à Rouen. L’ultime visite à
l’archevêque s’effectuait au chevet de son propre lit de
mort. Lors de sa première rencontre avec le prélat de
Rouen, l’abbesse déclarait , au moment de la remise de
l’anneau pastoral : “Je vous le donne vivant, vous me
le rendrez mort”.
Le vicomte d’Arques et de Rouen, Premier conseiller de
Richard III (éphémère duc de Normandie de 1026 à 1027),
Gosselin, et sa femme, Emmeline, furent les fondateurs
du monastère de St-Amand. Ils sont également évoqués
sous le nom de Goscelin, Fils Heddon, et d’Ameline ou
Emeline.
Aux portes de la ville, Gosselin et Emmeline avaient
déjà fondé une abbaye de Bénédictins, sous le vocable de
la Trinité au Mont-de-Rouen qui devint plus tard
l’abbaye de Ste-Catherine. Initialement, en 1008,
Gérard, abbé de Crépy-en-Valois, avait réussi à réformer
l’abbaye normande de St-Wandrille et choisit même d’y
recruter ensuite le premier embryon d’une nouvelle
implantation de Bénédictins. Très vite, celle-ci se
transforma en un réel monastère qui fut érigé en une
abbaye dédiée à la Trinité (puis à sainte Catherine vers
1085). Cette abbaye fut celle que contribuèrent alors
essentiellement à édifier Gosselin, qui s’y fit
religieux, et Emmeline.
Il faut ajouter qu’un ancien monastère de femmes est
attesté à l’emplacement de l’abbaye de St-Amand et déjà
mentionné vers 820, reconnu désormais comme
établissement monastique féminin. L’antique
chapelle
St-Léonard érigée sur le site pourrait constituer
l’édifice conventuel d’un prieuré ruiné par les raids
vikings du milieu du IXème siècle sur Rouen. Nos deux
fondateurs n’auraient peut-être fait que rétablir ce
lieu monastique en faveur des religieuses Bénédictines.
Néanmoins, les titres authentiques de la fondation se
situeraient entre 1030 et 1040. Il semblerait qu’à cette
période, les moines de St-Ouen suscitèrent aussi la
création de l’abbaye de St-Amand. Ils encouragèrent
vivement les vœux des pieux fondateurs.
La nouvelle abbatiale achevée, elle fut consacrée le 28
septembre 1068 par Jean II, évêque d’Avranches et futur
archevêque de Rouen, demi-frère d’Emma Ière d’Ivry alors
veuve d’Osbern le Sénéchal depuis 1039 et qui fut, de
1049 et jusque vers 1070, la première des 43 abbesses de
St-Amand dont la liste (établie à la fin de ces lignes)
nous est précisément connue. La fondatrice, Emmeline,
fit le même vœu de piété que son mari. Elle se retira
dans le monastère de St-Amand. Deux nièces de Jean II
d’Avranches, Emma et Jeanne de Beaufou, furent également
religieuses de l’abbaye. Béatrix, la propre fille de
Gosselin et Emmeline, se retira aussi à St-Amand et
renonça à une vie dans le monde, au début de l’avènement
du futur Guillaume le Conquérant. Ce dernier s’avéra
toujours aussi généreux en faveur de St-Amand. Le
dernier acte écrit qu’il fit parvenir d’Angleterre, à
peine quelques années avant sa mort, l’avait été pour
l’abbaye et en sa faveur. Il lui légua de nombreux biens
en Normandie et Outre-Manche. L’aître St-Amand
(cimetière des religieuses) - actuelle place St-Amand -
s’étendait initialement devant le portail occidental, à
l’extrémité de la nef.
Le successeur de Jean II d’Avranches, le nouvel archevêque de Rouen de
1079 à 1110, Guillaume Ier Bonne-Ame, soutint encore
l’abbaye de St-Amand quand se constitua, en 1100, la
paroisse de St-Amand. Le chevet du vaisseau allongé de
l’église fut réservé aux Bénédictines. Quant à l’église
paroissiale, elle comprenait le bas de la nef (vers la
place St-Amand) qui fut murée, matérialisant encore plus
nettement au XIIIe siècle - mais probablement
avant - la séparation effective entre les deux églises
St-Amand (celle de l’abbaye et celle de la paroisse). Le
mur devait cependant demeurer longtemps percé d’une
porte, seule communication entre l’abbatiale et l’église
paroissiale.
L’abbatiale fut à la fois placée sous le vocable de la
Vierge (ou de Notre-Dame) et de St-Amand. En ce qui
concerne la chapelle St-Léonard, elle pourrait remonter
à une plus haute antiquité, avant la fondation de
l’abbaye. En effet, simple oratoire de porte à
l’origine, il reste associé à une porte également dite
de St-Léonard. Richard Ier sans Peur, duc de Normandie,
détenu à Laon par le roi de France, Louis IV d’Outremer,
étant heureusement parvenu à s’échapper de sa prison et
voulant rendre grâce à saint Léonard (patron des
prisonniers aspirant à leur délivrance), nomma aussitôt
une chapelle de Rouen à la gloire de ce saint, dès son
retour en Normandie. En cette première moitié du Xème
siècle, le sanctuaire que le duc voulut dédier à saint
Léonard devait être celui de la porte de la ville,
annexé au monastère primitif. On apercevait encore
quelques vestiges de cette ancienne porte dans les
jardins de St-Amand à l’époque de Farin. Un deuxième et
modeste sanctuaire - autre que la chapelle St-Léonard -
a certainement précédé l’abbaye de St-Amand sur le site.
De plus, à partir du XIe siècle, la dévotion
à saint Léonard ne fit que croître. La diffusion de son
culte fut amplifiée par l’écriture de sa première vie en
termes légendaires, reprise par Jacques de Voragine dans
La Légende dorée.
Quelques cas de conversions de juifs rouennais au
christianisme furent mis au crédit des religieuses de
St-Amand au XIIIème siècle. L’un d’eux, revenu au
judaïsme, fut brûlé sur ordre de l’archevêque Eudes
Rigaud en 1266.
Diverses confréries utilisèrent la chapelle St-Léonard
successivement. En 1443, Raoul Roussel, archevêque de
Rouen, la donna aux brasseurs de bière rouennais pour y
établir leur confrérie. Le jour de la fête de St-Amand,
ceux-ci réunis donnaient même un dîner aux religieuses
dans le monastère. Cette coutume ne fut abolie que vers
1600, en raison des problèmes qu’elle posait.
En 1562, les protestants ravagèrent et pillèrent
l’abbaye.
A la suite de tous ces désastres, l’abbesse Anne de
Souvré fit alors pratiquement renaître le monastère de
ses cendres et édifia deux nouvelles chapelles dans le
chœur de l’abbatiale. Elle veilla, de plus, à rétablir
la discipline et fit respecter l’observance de la règle
monastique avec plus de rigueur. Mais, en 1569, la chute
de l’antique tour de St-Amand, située au centre de
l’abbatiale, du côté du cloître, entre le chapitre et
l’église (sur un lieu appelé avant 1698
l’avant-sacristie), fut soudainement à déplorer. Cet
ancien clocher recélait une chapelle, placée sous le
vocable de St-Pierre et son écroulement causa quelques
dommages aux voûtes des édifices religieux de l’abbaye
et de la paroisse. Il est à noter que l’église St-Amand,
dédiée aussi à Notre-Dame, avait été associée
initialement à un antique et proche sanctuaire St-Pierre
situé sur son côté sud. Une telle disposition plaçant
sous le double patronage de Notre-Dame et de St-Pierre
un ensemble ecclésial monastique fut courante dans des
fondations féminines remontant au VIIe
siècle.
Aussi, il fut construit sur l’abbatiale un autre modeste
et élégant petit clocher. Anne de Souvré décida, enfin,
de remettre la chapelle St-Léonard à la paroisse de
St-Amand. Des incidents naquirent au fil des siècles,
toujours au sujet des charges d’entretien réparties
entre paroisse et abbaye. Dans l’une des nouvelles
chapelles de l’abbatiale, les tombeaux de trois
abbesses, Anne, Madeleine et Léonor de Souvré, furent
transférés au XVIIe siècle : la chapelle de
la Vierge.
D’autres abbesses se sont succédées : Marie d’Annebaut,
qui fit édifier une tourelle à encorbellement en 1533,
Yolette Sochon, qui a toujours ses armes gravées dans la
pierre sur une fontaine de St-Amand, avec celles
d’Isabeau et de Thomasse Daniel... Quatre crosses
d’abbesses ont été retrouvées dans des sépultures et
sont exposées au Musée des Antiquités de Rouen. Trois
précieux reliquaires du XVIIe siècle,
provenant du chœur de l’abbatiale, ont abouti à l’église
St-Patrice de Rouen et y sont encore actuellement
conservés. Un quatrième reliquaire de la même époque
servait autrefois de tabernacle à un autel secondaire de
l’église St-Maclou de Rouen. Il n’a d’ailleurs pas été
anéanti par les bombardements de 1944. Il faut noter un
autre vestige du mobilier de l’ancienne abbatiale : un
retable qui orne maintenant l’église de Boscherville
dans le département de l’Eure.
La communauté de religieuses fut présente jusqu’à la
Révolution dans son abbaye. Supprimé dès 1790, le
monastère servit de 1792 à 1797 de magasin central de
l’habillement à l’armée puis fut vendu. L’enclave
St-Amand disparut au milieu du XIXe siècle.
Des pavés historiés y furent trouvés. La rue Neuve
St-Amand puis le percement d’une rue Royale finalement
appelée rue de la République entraînèrent des
bouleversements dans le paysage de ce quartier qui vit
de nouvelles constructions sortir de terre entre 1853 et
1858 sur l’emplacement dégagé.
Aucun vestige de l’abbatiale (entièrement rasée) ne
subsiste. Seuls quelques pans de mur et l’entrée de
l’abbaye demeurent les rares témoins, rue et place
St-Amand, du passé des lieux. Le chœur de l’abbatiale se
situait, en partie, à la hauteur de l’actuel 86, rue de
la République. Quelques ruines dans l’impasse St-Amand
(peu accessibles) et au 78, rue de la République (arche
du portail gothique) demeurent. Il reste cependant la
porte d’entrée de style Louis XIV intacte, pratiquée à
la base des anciens murs bordant la rue St-Amand. Munie
d’une belle arcade et d’un linteau autrefois sculpté de
feuilles de chêne, elle était surmontée d’un bandeau à
l’inscription en latin aujourd’hui disparue : Non est
hic aliud nisi domus dei (c’est-à-dire Ici, il
n’est d’autre maison que la maison de Dieu, Genèse
XXVIII). |