Conseils Municipaux depuis 1995

Fiche Conseil
 
Séance : 13/06/1997
Libelle : Opération "La Chaloupe". Prsentation du bilan. Intervention
Document : M. Michel BEREGOVOY, Conseiller Municipal délégué.- Le rapport qui vous a été distribué a été présenté au conseil d'administration du Centre Communal d'Action Sociale (C.C.A.S.). Nous avons souhaité qu'il soit présenté également au conseil municipal. Je regrette un peu l'heure tardive, je viens de voir partir un journaliste, mais il est vrai qu'il ne fait pas moins 15° et parler des sans-abri lorsqu'il fait chaud... ce n'est effectivement pas toujours le moment.
Je vais revenir sur l'historique. Au printemps 1996, le Centre Hospitalier Universitaire (C.H.U.) nous demandait d'organiser un lieu d'accueil de jour en faveur des personnes sans-abri. Ces personnes, qui sont plongées dans l'exclusion, avaient, au cours des hivers précédents et en particulier celui qui venait de s'achever, envahi l' «Anneau central» de l'hôpital Charles Nicolle, séjournant dans les salles d'attente réservées aux consultants, ce qui gênait le fonctionnement des services.
Une réflexion commune fut engagée et l'O.H.N., l'Oeuvre Hospitalière de Nuit, y fut associée. Une forte volonté d'apporter des réponses aux impératifs de survie et au besoin de santé d'hommes et de femmes exposés quotidiennement à des situations d'extrême précarité, a permis de mettre au point et de lancer à titre expérimental, le 20 novembre 1996, cette opération qui s'acheva le 25 avril 1997.
Le lieu d'accueil trouva rapidement son nom, sans cérémonie officielle, et par les bénéficiaires eux-mêmes : il fut nommé «La Chaloupe».
Cette «Chaloupe» a pour but de permettre aux bénéficiaires de se nourrir, d'avoir chaud en hiver, d'être orientés éventuellement vers des structures de soins, de réduire la consommation de produits toxiques tels que l'alcool, d'être soutenus dans leur recherche d'un hébergement pour le soir, d'être écoutés et entendus, ce qui est peut-être le plus important.
Nous avons obtenu dans cette action le soutien du C.H.U. bien sûr, qui nous a fourni les repas, de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (D.D.A.S.S.) et de la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales (D.R.A.S.S.) - car il y avait des objectifs de santé, j'y reviendrai -, du Conseil Général - car le public comprenait notamment des bénéficiaires du Revenu Minimum d'Insertion (R.M.I.) -. Ces financements ont complété l'effort du C.C.A.S.
L'Office Public d'Aménagement et de Construction (O.P.A.C.) -«ROUEN Habitat»-, pour sa part, a mis provisoirement à notre disposition et gratuitement un terrain situé rue Lamauve, à proximité du C.C.A.S., et l'O.H.N. a apporté son concours en travailleurs sociaux.
Je tiens à remercier ces organismes, les salariés du C.C.A.S., du C.H.U., de l'O.H.N., des associations qui sont venues également apporter leur concours bénévole, qu'il s'agisse du Carrefour des Solidarités, de l'Association Rouennaise pour l'Insertion et la Recherche en Toxicomanie (A.R.I.R.T.), de
Médecins du Monde, d'EPHETA, de la Banque Alimentaire, de l'Union Départementale des Associations Familiales (U.D.A.F.), de la Direction Départementale de la Solidarité (D.D.S.) ou de SHMAH. J'en oublie peut-être, mais je ne pense pas.
Je remercie les bénévoles et tous ceux qui, par leur dévouement, leur sens de la solidarité, leur volonté d'écoute, ont permis que cette expérience soit une réussite.
Il est à noter également les apports extérieurs en fin d'année. Je pense au couscous servi à «La Chaloupe», mis gracieusement à notre disposition par une association. Il fallait y être pour voir le bonheur sur le visage de ces gens qui souffraient du froid, étaient exclus et avaient le droit à un couscous. On ne peut l'oublier.
Les besoins de s'alimenter, de se réchauffer ont été couverts pour 407 personnes - 54 personnes en moyenne sur 113 jours -, alors que nous avions décidé d'accueillir pas plus de 40 personnes par jour, dans un bâtiment préfabriqué d'une superficie de 90 m2. 6.268 repas complets furent transportés du C.H.U. au lieu d'accueil, pour y être réchauffés et servis.
Le phénomène de bouche à oreille - et là j'évoque une difficulté au départ -, la création différée de l'espace social du C.H.U., la parution d'un article de presse dans «Paris-Normandie» annonçant l'ouverture d'un lieu d'accueil pour les Sans Domicile Fixe (S.D.F.) ont entraîné une très importante montée en charge de la fréquentation dès les premiers jours de fonctionnement.
Il a fallu inventer sur place un système de prescription modulée, afin de n'exclure personne en demande d'aide, tout en accordant une priorité aux réponses solitaires et primordiales. Il a fallu expliquer à chacun le concept de «La Chaloupe», qui est dans notre esprit : «Un canot de sauvetage ayant pour mission de traverser l'hiver, une embarcation limitée quant au nombre de places où la devise "Les femmes, les malades, les enfants, les vieillards d'abord" prend tout son sens.»
Si vous regardez attentivement le tableau des fréquentations, vous constaterez une grande diversité des pratiques et des réponses à des besoins souvent différents, la montée en puissance qui ne s'est pas ralentie, même à l'arrivée du printemps. Un niveau important de bénéficiaires du R.M.I. - près de 50 % - ont fréquenté ce lieu d'accueil. 44 personnes ayant été soutenues pendant la période de grand froid étaient en attente de ressources, de constitution de dossier de retraite, de constitution de dossier du Fonds de Solidarité Logement,
ou d'autres en attente d'une entrée en hébergement.
Au total, sur la période des 113 jours, nous avons dénombré 92 personnes sans ressources sur les 348 personnes recensées. 138 parmi les 348 bénéficiaient du R.M.I., dont 50 de 18 à 24 ans. Pour quelques autres, ce n'était pas le R.M.I., mais l'équivalent, c'est-à-dire le Complément Départemental de Ressources.
33 % de cette population cumulent des difficultés de ressources et de lieu de vie. 63 % cumulent la précarité des ressources et de lieu de vie. 7 % environ des personnes reçoivent des revenus fixes et vivent dans des conditions de vie matérielle moins difficiles.
Il a fallu - et je vous conseille de lire cet extraordinaire rapport que je trouve très bon, d'autant plus que ce n'est pas moi qui l'ai rédigé - accueillir dans les meilleures conditions possibles, mémoriser rapidement les noms, condition essentielle pour mettre en confiance, éviter les conflits, agir contre une violence potentielle, et ceci très rapidement. «La Chaloupe» est devenue un espace de trêve, et je peux témoigner, parce que j'y suis passé souvent, qu'il n'y a pas eu de gros incident.
Dans ce rapport, vous pourrez découvrir - je vous conseille vraiment de le lire - les méthodes employées, ainsi que de nombreux exemples.
En conclusion, je ferai trois remarques :
1.- Il faut continuer, passer le stade de l'expérience, et le C.C.A.S., actuellement en contact avec d'autres, s'y emploie pour essayer de pérenniser cette formule.
2.- C'est un remède, mais la véritable solution pour éviter l'exclusion est de lutter en permanence et sans relâche pour réduire les inégalités sociales. Je crois qu'il y a là des choix de société à faire. Je suis de cet avis depuis longtemps, il faut combattre les inégalités, ce doit être notre objectif primordial.
3.- Des gens ont été sauvés de l'alcoolisme ou de la drogue, en petit nombre bien sûr, mais cela a avancé et il est incontestable que l'état de santé de beaucoup a progressé.
Pour conclure, j'ai relevé, vous l'avez peut-être lu, un écrit dans le Livre d'Or. Celui-ci n'existe pas seulement dans les grands restaurants, mais aussi là où il y a la misère.
Un jeune homme de 24 ans a écrit : «Ayant galéré sur une île de misère durant un certain temps, je fus très content de découvrir une chaloupe, qui m'apporta un peu de bien-être dans une vie où il est difficile d'être. Est-ce que le bonheur serait donc une utopie dans mon esprit ?»
 
Année : 1997
Catégorie : Solidarité - Logement - Santé - Sécurité
Page : 286
Rapporteur :
   
Débats :
   
Retour