Prieuré de Bonne Nouvelle

Il semblerait qu’il y ait eu, vers le milieu du Xe siècle, un petit monastère au milieu des prés de la rive gauche de la Seine, dans le faubourg d’Emandreville. Nous ne savons pratiquement rien de son histoire sinon que le domaine où il se serait trouvé appartenait à Herluin, ou Hellouin, le fondateur de l’abbaye du Bec. Il aurait disparu pendant la minorité du duc Richard sans Peur.
Nous en savons un peu plus sur la fondation, vers 1060, d’un nouveau couvent par Mathilde de Flandres en expiation de son mariage avec Guillaume le Batard, le futur Conquérant. On le trouve mentionné sous le vocables de Notre-Dame-du-Pré ou Notre-Dame-des-Prés. D’après la légende, c’est là que Mathilde, en 1066, apprit l’issue heureuse de l’expédition en Angleterre de son époux et la victoire d’Hasting. Elle se serait alors exclamé “Bonne nouvelle !”, et aurait voulu que l’oratoire prit le nom de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Il a aussi été dénommé Ste-Marie-de-la-Victoire.

Il est possible que le nom soit plus ancien. A l’origine, il aurait pu s’appeler prieuré des Bonnes-Nouvelles, en souvenir de la double dédicace à l’Annonciation et à l’Incarnation souvent associée à de tels monastères.
Le nouveau  monastère fut protégés par les enfants et petits enfants de Mathilde, en particulier par Henri Beau-Clerc et sa fille Mathilde l’Emperesse
.
L’influence bourguignonne venue avec Guillaume de Volpiano se manifesta d’abord à Rouen, en 1090, avec l’arrivée au prieuré de Bonne-Nouvelle de moines provenant de l’abbaye de Molesmes. Les moines bourguignons ne tardèrent pas à être remplacés par des Normands, des moines formés à l’abbaye du Bec-Hellouin. Le monastère devint prieuré, une dépendance du Bec-Hellouin. Il ne fut jamais transformé en abbaye autonome au fil des siècles et demeura définitivement rattaché à l’abbaye du Bec dont le rayonnement fut toujours considérable en Normandie.
Les religieux du prieuré de Bonne-Nouvelle, bien que Bénédictins, portaient comme ceux du Bec et par dévotion particulière pour la Vierge, sous la protection de laquelle avait toujours été placé leur monastère, une robe blanche avec capuchon au lieu de la robe noire habituelle de l’ordre de St-Benoît.
Constamment agrandi, le prieuré de Bonne-Nouvelle fut, comme le couvent des Emmurées, détruit à de nombreuses reprises car il était situé sur la rive gauche de la Seine et dépourvu de fortifications.
En 1418, sur l’ordre d’Isabeau de Bavière, il fut pratiquement rasé pour empêcher les Anglais de le fortifier. Il fut restauré dans la seconde moitié du XVe siècle. En 1562, les protestants le dévastèrent. Peu de choses furent sauvées et l’église conventuelle fut incendiée. Et, en 1591, pendant le siège de Rouen par Henri IV, il fut de nouveau ruiné. L’église et la clôture furent relevés en 1604, le cloître les bâtiments en 1626.
Le Bec-Hellouin adopta la réforme de St-Maur en 1626 et, à Bonne-Nouvelle, celle-ci fut acceptée sans remous.
En 1655, on décida solennellement de reconstruire l’édifice, à partir d’un monumental portail principal.
Au XVIIIe siècle, comme dans les autres monastères repris par la congrégation, on entreprit d’importants travaux, sous l’autorité de dom Jean Picard.
La mémorable “confrérie des Conards” eut longtemps son siège à Bonne-Nouvelle. Elle animait une féroce satire avec de bruyantes manifestations annuelles qui furent longtemps tolérées par les religieux.
Les bâtiments du prieuré s’ordonnaient autour du cloître. Le Monasticon gallicanum nous montre en 1663, le cloître entouré, à l’est du dortoir au dessus du chapitre, à l’ouest des cuisines et du réfectoire, de la bibliothèque au sud et de l’église au nord.
Tout autour, sauf au nord où l’église s’appuyait sur le mur d’enceinte, se développaient jardins d’agréments, fruitiers, maraîchers, les communs, granges et écuries, et le pigeonnier.
L’entrée principale était percée au nord du mur ouest, face à des avenues rayonnantes.
Comme tous les établissements touchés par la réforme de St-Maur, les bâtiments du prieuré furent ensuite profondément modifiés. En 1754, le prieur Dom Picard construisit un grand corps de logis et un cloître cintré qui ne fut jamais terminé.
L’image de l’église du prieuré donnée par Jacques Le Lieur sur la grande vue de Rouen n’est pas très différente de celle du Monasticon. L’église possédait une nef unique prolongé par un chœur. Seul le transept faisait saillie. Le dortoir venait s’appuyer sur le mur gouttereau au sud. La seule différence réside dans l’ajout d’une travées vers l’ouest, et surtout, dans l’édification d’un pignon monumental en 1655 dans un style tout à fait baroque encadrant la fenêtre axiale qui avait conservé sa forme médiévale. L’étagement des ordres classiques superposés se terminait par une grande figuration de l’Annonciation.
Le clocher surmontait la tour de croisée du transept (nous ne savons pas si c’était une tour-lanterne). Il est particulièrement visible sur le dessin de jacques Le Lieur. Par comparaison avec d’autres clochers de la même vue, il semble être de charpente recouverte de plomb.
Dès le début de la période révolutionnaire, le monastère fut supprimé. Les religieux quittèrent les lieux en 1790. Les locaux conventuels furent transformés en quartier de cavalerie vers 1818. Les vastes bâtiments du XVIIIe siècle futent démolis pour laisser place à la caserne Bonne-Nouvelle, occupée à partir de cette époque par l’infanterie. Aucun vestige du prieuré de Bonne-Nouvelle ne subsista à la suite des ultimes restructurations du site. Après la Seconde Guerre mondiale, l’ancienne caserne fut réaménagée et fut finalement rasée en 1974.
Tout le quartier fut progressivement reconstruit. Il abrite désormais des immeubles modernes. Des sondages qui ont précédé, en septembre 1996, l’édification d’un bâtiment nouveau en bordure de la place des Faïenciers, n’ont permis de mettre au jour qu’un unique mur reconnu en profondeur. Il avait probablement appartenu à des constructions anciennes en rapport avec le prieuré.

L’église fut mise au nombre des succursales paroissiales sous le vocable de St-Benoît en 1791. Elle fut définitivement supprimée en 1793. Moins d’un siècle plus tard, en juin 1885 la façade tombait sous les coups des démolisseurs. L’Annonciation qui en occupait le couronnement avait déjà été arasée en 1825, le fronton menaçant ruine.
Il ne reste aucun vestige in situ de l’église. Quelques colonnes de la façade monumentale sont conservées dans le square André Maurois du Musée des Antiquités de Rouen où elles ont été remontées dans une composition hétéroclite intégrant le fronton de l’ancien hôtel de la Première Présidence.
La prison bâtie au XIXe siècle a repris le nom de Bonne-Nouvelle, bien que située à l’écart du site historique. Il n’est pas douteux que ce nom doit faire grincer quelques dents chez les hôtes involontaires des lieux !

Clergé
En 1777, Dom Villeroi était Prieur.
 
Tableaux

On connaît comme mobilier provenant du prieuré, un tableau de la fin du XVIe ou du début du XVIIe siècle. Il avait fait l’objet d’une saisie révolutionnaire. Il est depuis exposé au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Il s’agit de la Messe solennelle en présence d’Henri III, (ou Messe de la Ligue) peint par Herman van der Mast, artiste d’origine hollandaise anobli à la cour de Catherine de Médicis. Cette toile paraît avoir été exécutée en 1574, au tout début du règne d’Henri III.
Le tableau Bénédictin présentant une église à la Vierge des Sept Douleurs de l'école de Laurent de la Hyre peut également provenir de Bonne-Nouvelle. Il est aussi conservé au Musée des Beaux Arts de Rouen.

Messe de la Ligue

Bénédictin présentant une église

 
Localisation


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Bibliographie
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Abrégé de l'histoire ... de la ville de Rouen,
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Tableau de Rouen,
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Description historique des maisons de Rouen,
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Exploration de la Normandie - Rouen
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La peinture d'inspiration religieuse à Rouen au temps de Pierre Corneille,
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Rouen aux 100 clochers, F. Lemoine,
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© Copyright Jacques Tanguy, février 2013