Le cimetière Monumental de Rouen mérite un
chapitre particulier.
La création du cimetière du Père-Lachaise à Paris en 1804, et
surtout le transfert dans ce nouveau cimetière des dépouilles de
quelques personnalités célèbres en 1817, ouvrit la voie à des
cimetières ouvert à tous et permettant de construire des monuments
sur les tombes.
C'était la possibilité pour les bourgeois, véritables vainqueurs de
la Révolution, d'avoir leur tombe permanente et ostentatoire comme
les aristocrates sous l'ancien régime.
Rouen ne pouvait pas rester en arrière. En 1823, l'administration
municipale de M. de Martainville prit la décision de construire un
cimetière équivalent pour répondre aux demandes. |
Extrait du plan de 1899 |
La chapelle |
On choisit un terrain communal peu
rentable situé sur une partie de la côte des Sapins. Le
roi donna son aval en 1824.
On chargea l'architecte de la ville, Maillet-Duboulley,
de diriger les travaux d'installation.
Les murs d'enceinte furent adjugés à
l'entrepreneur Nicolas Letellier. En 1825, on
construisit la porte d'entrée, en bas du cimetière, la
croix de pierre et la chapelle.
Il restait a créer une voie pratique pour y accéder. Le
propriétaire des terrains consentit à les donner à la
ville.
Au milieu de l'année 1828, le cimetière était prêt à
recevoir ses premiers locataires et la chapelle bénie. |
L'entrée d'origine |
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Le premier fut Césaire-Alexandre Lepicard, ancien
adjoint au maire.
Hélas, les débuts furent difficiles. La ville avait escompté de
juteuses rentrées financières. Non seulement le tarif des
concessions étaient élevées, mais une taxe aussi importante était
due pour les œuvres de la ville. Il faut dire aussi que la
génération de la Révolution n'était pas à l'heure du tombeau. Qui
plus est, dans les autres cimetières de la ville, on accordait
illégalement concessions perpétuelles et autorisation de construire
des monuments. En 18 mois, seules 20 fosses avaient été creusées.
L'investissement avait été conséquent : plus de 137.000 Frs, et
n'avait encaissé que 47.000 Frs, dont la moitié avait été versée à
la caisse des Hospices.
Des mesures furent prises , en particulier l'obligation aux autres
cimetières de respecter les règlements. |
Cippe de Boieildieu |
On décida aussi de faire une
véritable campagne promotionnelle. On décida de donner
des concessions gratuites à quelques personnalités,
désirant par là attirer les bourgeois. Le premier fut
François-Adrien Boieldieu, mort en 1834 et enterré au
Père-Lachaise. la ville obtint le cœur de l'illustre
compositeur. Une cérémonie monstre fut organisée depuis
la ville jusqu'au cimetière. Le vase contenant le cœur
fut déposée quelques temps dans la chapelle avant d'être
posée, en 1840, sur le monument qu'on avait élevé dans
la première allée du cimetière. |
Tombe de Dumée |
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Suivirent M. Marquis, professeur de Botanique
(transféré du cimetière de la Jatte), Hyacinthe Langlois,
dessinateur et archéologue (mort en 1837), Louis Brune (mort en
1843), Edme-Pierre Dumée, dessinateur (mort en 1848), le colonel
Truppel (en 1859), Ambroise Fleury (ancien maire, mort en 1857) |
Tombe d'Ambroise Fleury |
Tombe d'Hyacinthe Langlois |
Chapelles funéraires |
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Et le succès vint. La génération de 1789 arrivait
à l'heure de la mort et le nombre de concession augmenta. Il devint
de bon ton d'être enterré au Monumental. Tout ce que Rouen Compta de
personnalité y trouvèrent leur dernière demeure faisant de ce
cimetière un formidable livre d'histoire.
L'organisation spatiale du cimetière tendit à reproduire la
géographie sociale de Rouen. Un axe nord sud correspond à la rue
Jeanne d'Arc et est croisé par des axes est-ouest correspondant aux
rues du Gros-Horloge et Thiers (Lecanuet) C'est le lieu de repos des
notabilités. Des quartiers moins "huppés" se situent à l'est.
Certains de ces carrés sont spécialisés. Il y a ainsi un carré
protestant, un carré juif et même un carré des poètes et écrivains ! |
Tombe du fondeur protestant Barker |
Tombes de la famille Duchamp-Villon |
Tombe de Gustave Flaubert |
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Quelques personnalités notables ont leur tombe : la plus célèbre
tombe du cimetière est celle de Gustave Flaubert. Il ne faut pas
manquer non plus les tombes des membres de la grande famille
d'artistes Duchamp-Villon. Les maires (à l'exception notable de Jean
Lecanuet), les industriels (Kiettinger, Depeaux, Boissière), les
homme politiques (Desseaux, Maze), les ecclésiastiques (l'abbé
Cochet) et bien d'autres. |
Le crématoire |
Commune dans l'antiquité, la crémation disparut complètement
avec le christianisme triomphant. Il paraissait indispensable de
conserver l'intégrité du corps (tout au moins du squelette) en
attente du Jugement Dernier. En 1886, l'église catholique, par la
voix du pape Léon XIII, énonce l'interdiction formelle de la
crémation (interdiction levée seulement en 1963). Dans les siècles
antérieurs, le supplice par le feu était en quelque
sorte une "double peine" puisque le condamné était non seulement
tué, mais privé de vie éternelle. |
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L'évolution des idées au XIXe siècle amena un recul de l'influence
religieuse. Certains milieux, en particulier Francs-maçons, se
convertirent à la pratique de l'incinération
C'est la loi du 15 novembre 1887 qui permit l'officialisation de la
pratique.
A Rouen, c'est en 1897 que le Conseil Municipal se pencha sur la
question. Les préoccupations n'étaient pas religieuses (ou
antireligieuses), mais pratique : que faire des cadavres abandonnés,
des dépouilles retrouvées lors des renouvellements des tombes ?
Il fut donc décidé de la création d'un crématorium rouennais.
L'architecte de la ville, M. Trintzius, fut chargé de la
construction, réalisée par l'entreprise Toisoul & Fradet, de Paris.
Nous étions en 1899, et cet équipement, contemporain de celui du
Père-Lachaise à Paris, est le deuxième en France à avoir fonctionné.
La première incinération, le 20 avril 1899, était celle d'un ancien
conseiller municipal, M. Léon Valois.
Le bâtiment, en grande partie conservé quoique non utilisé, a la
forme d'un grand parallélépipède de 20 m sur 14 m en pierre d'Euville.
Il est surmonté d'une coupole. L'entrée est au sud, ornée d'une
simple attique supportée par deux colonnes. Le four occupait une
construction au nord maintenant disparue. Il fonctionnait au gaz (en
moyenne, 175 m3) la crémation durait entre une heure et
demi et deux heures.
Le succès fut lent à venir. Le registre des incinération ne compte
que 26 nom pour les dix premières années. parmi eux, Henri Gadeau de
Kerville, le grand naturaliste rouennais, incinéré en 1903.
Les cendres étaient conservées dans un columbarium installé dans
l'ancienne chapelle désaffectée. |
L'ancien crématoire étant devenu insuffisant, un nouveau fut
élevé à la fin des années quatre-vingt-dix du XXe siècle.
Cela entraina l'abandon de l'ancien crématorium, la destruction du
four et de la cheminée. |