Ma pharmacienne préférée parlant de mon dernier ouvrage Rouen Insolite et Secret tome 2, me disait son plaisir de voir sa profession illustrée par la mention de la fameuse Jouvence de l'Abbé Souris. je me suis rappelé que j'avais dans mes archives une ancienne bouteille de l'Eau des Jacobins, remède bien connu depuis le XIXe siècle. Elle m'apporta derechef une bouteille de ce fameux élixir, encore en vente de nos jours.
 

La rue de Fontenelle actuelle a porté jusqu'à la Révolution le nom de rue des Jacobins, en souvenir d'un couvent de ces frères prêcheurs établi par l'archevêque Thibaud d'Amiens, de l'autre côté de la Seine, dans le manoir de Saint-Mathieu en 1224. En 1242, le roi Saint-Louis leur fit don des terrains situés au revers de la nouvelle muraille à l'ouest de la ville. Ils s'y installèrent en 1246.


Le couvent des Jacobins sur le plan Gomboust (1655)

A la fin du XVIIIe siècle, la situation financière du monastère était catastrophique. Il fallut se résoudre à trouver des ressources supplémentaires. Vers 1777, un accord fut signé avec l'intendant Thiroux de Crosne : une partie du monastère lui fut loué pour y construire le nouvel hôtel de l'Intendance.
Cela ne suffisait pas. Vers 1787, un infirmier devait avoir inventé une formule de liqueur digestive appelée "Eau antiapoplectique". Les chroniques sont muettes sur sa genèse. Un ordre du Provincial nous permet toutefois de voir que le produit était fabriqué dans le couvent. Les différents ingrédients nécessaires devaient être achetés par le procureur qui avait charge d'en tenir une comptabilité, ainsi que celle des ventes.





Les quatre faces de la bouteille (fin du XIXe siècle)

La composition de cette eau faisait appel à toute une série de plantes que l'on faisait macérer dans de l'alcool. On trouvait de la Badiane, de l'anis vert, du clou de girofle, du genièvre, de l'angélique, de la cannelle, de la noix de muscade, du réglisse et du galanga (Alpinia galanga), plante à la réputation aphrodisiaque.

La Révolution chassa les religieux de leur couvent. Le secret de leur remède miracle ne fut toutefois pas perdu. Il fut retrouvé par les frères Gascard, tous deux pharmaciens, Henri à Evreux et Jules-Albert à Rouen qui déposèrent la marque "Eau des Jacobins".
Jules-Albert Gascard (né au Neubourg le 5 novembre 1835), ancien interne des hôpitaux de Rouen dont l'officine était rue du Bac, prit les choses en main et créa en 1864 l'"EAU DES R.R. JACOBINS DE ROUEN". Pour la fabriquer il fit construire un laboratoire à Bihorel-lès-Rouen. Utilisant massivement la publicité, le succès fut au rendez-vous. Pour éviter les contrefaçons, un flacon fut mis au point. Il porte sur l'une de ses faces le dessin d'un moine. l'étiquette porte le sceau de Saint-Louis.
Il diversifia la production, mettant sur le marché une pilule de longue vie, une pâte dentifrice et même une liqueur baptisée "La Jacobine".

La nécessité de s'agrandir leur fit acheter en 1881 la salle des fêtes de la commune qui n'avait pratiquement jamais été utilisée. La porte principale fut modifiée. On la surmonta d'un fronton portant une reproduction du sceau de Saint-Louis. La production s'y poursuivit jusqu'en 1983, la direction de l'entreprise restant dans la famille. C'est une petite fille de Jules-Albert qui la transféra près d'Yvetot, à Valliquerville.


L'ancien laboratoire des frères Gascard

Bibliographie
Eloy (Jean-Louis), Cinq siècles d'Histoire religieuse normande, le couvent de Saint-Jacques de Rouen (1224-1790), Levire, Vire, 1965.
Lemoine (François), Tanguy (Jacques), Rouen aux 100 clochers, PTC, Rouen, 2004
Passion généalogie (Internet)

© Copyright Jacques Tanguy - décembre 2011

Retour